Après une heure trente passée aux côtés de Laurent Lucas, Berroyer et Nahon (l'imposant Philippe Nahon), nous nous rendons compte que le film ne peut laisser de marbre. On a besoin d'en parler, d'exorciser ce daïmon qui gît en nous parce que le film met réellement mal à l'aise.
Afin de mieux saisir l'intérêt de notre propos, voyez le film. Pour les autres, en voici le synopsis:
Marc Stevens est un chanteur itinérant. A l'hospice, le concert est terminé. Celui-ci reprend la route, mais il tombe en panne au milieu de nulle part. M. Bartel, un aubergiste psychologiquement fragile depuis que son épouse Gloria l'a quitté, le recueille.
C'est alors que commence le cauchemar de Marc : M. Bartel voit en lui l'incarnation de son ex-femme et tout le village est persuadé que celle-ci est rentrée au pays.
Beaucoup on discuté sur la genèse, les enjeux cinématographiques ou encore les topoï de ce film. On pourra enrichir notre propos en se rendant sur le site allociné. Notre propos, quant-à-lui, se bornera à tenter de démontrer les différents genres utilisés par Fabrice Du Welz.
Le film est construit en tryptique. La première partie, essentiellement narrative met en place, doucement, les ingrédients du calvaire. La seconde partie, quant-à-elle, est plus descriptive que narrative et s'attache à décrire l'essence du calvaire de Marc Stevens. Enfin, la dernière partie tente d'apporter un remède à ce calvaire. Cette dernière partie, c'est aussi celle où l'on sort du duo Lucas-Berroyer et le champ visuel s'ouvre vers les villageois.
A- DISSECTION : LES GRANDES ETAPES DU FILM
I- Les dix premières minutes: le monde du réel
La première partie du film est marquée par des éléments qui appartiennent à la comédie. D'abord, le métier de chanteur itinérant apparaît aujourd'hui désuet bien qu'il revête ici, aux yeux du protagoniste, une certaine importance.L'idée du maquillage aussi entre dans cette mise en scène. La chanson d'ouverture n'est pas sans rappeler certains airs de Dalida, un brin pailleté. La jovialité et la sensualité qui se dégagent de Brigitte Lahaie (l'infirmière de la maison de retraite) apportent une touche suave et édulcorée à cet aspect de la comédie.
Reste une scène marquante : une pensionnaire rend visite à Marc après sa représentation et réclame qu'il le caresse. La description de la vieille agrandit ce contraste en rêve et réel. La "faveur" qu'elle lui demande met le téléespectateur, autant que Marc Stevens, dans le même état...et nous concluons sur ces mots qui donnent le ton de la scène " espèce de sale putain, vieille pute, salope, tu as tout gâché" (sic 5"10). Le fait que Marc n'arrive pas à redémarrer imédiatement son camion donne au téléspectateur un avant-goût de panique. On peut en effet y voir sur le même plan Brigitte Lahaie, groupie de Marc Stevens, pleine d'espoir éroticisé, mais aussi Marc Stevens, inquiété par cette histoire de camion...ne pas rester, fuir...
II- Deux hommes
Bartel, le personnage que campe Berroyer appartient à un autre monde. Si celui de Marc Stevens, dont les sonorités rappellent les poncifs des pseudonymes anglo-saxons ou américanisants, est le monde des paillettes (toutes proportions gardées), l'univers de Bartel s'inscrit entre son auberge abandonnée, Boris, et les villageois.
Le personnage aussi a quelque chose de carcéral : il ne descend jamais au village, vit de sa solitude. Le physique des deux protagonistes donne d'entrée de jeu une différence notoire: le visage de Bartel est usé par la solitude, la crasse masculine (barbe et chevelure). Chez Stevens, c'est la fraicheur et la jeunesse qui dominent le jeune homme. Son aspect polissé et fringuant apparaît donc en opposition avec les traits de Bartel. Si Bartel est ancien comique ( référence à la blague -potache- qu'il sort pendant le diner), Stevens est un chanteur en pleine force de l'âge, mais aussi en pleine gloire, comme Bartel va le découvrir dans son estafette.
III- La promenade
On a souvent glosé sur le caractère dérangeant de la scène de la promenade. Il n'en est rien! Elle s'ouvre d'abord par une description : la forêt en hiver. Le paysage blanc apporte une certaine purté à l'image et agit en constraste avec la scène des villageois. Stevens, dans la position du voyeur, ne nous fait point partager l'acte zoophile, même si les râles, qui vont crescendo, laissent le spectateur terrifié.
Ce que Du Welz nous montre, c'est l'absence. Le paysage devient miroir de la vie des villageois. Si les terres sont vides, les femmes sont aussi absentes. Rappelons à ce titre le topos de la fertilité qui entre dans la composition du film. Du Welz, dans une visée plus déterministe, nous renseigne sur le célibat dans les campagnes, un leitmitv dans les Survivals.
IV- La (s)Cène
Marc Stevens, attablé, appartient désormais à l'aubergiste. En partageant le repas, il devient malgré lui son ami, complice, même si la figure traître de Bartel apparaît en filigrane : On y apprend que "le sens de l'humour est parti avec Gloria" (sa femme disparu). Il n'appartient désormais plus au "monde des artistes". L'histoire qu'il raconte rappelle les blagues de comptoirs et arrache, quelques temps, le spectateur de la tension permanente. Le repas, l'ambiance apportent une tonalité macabre qui reste prometteuse : le rouge et le noir sont souvent solicités. L'ange représenté par le pull blanc de Stevens entre en relation avec la figure de Bartel, auréolé de noir et de pourpre. La fin de la scène nous montre Bartel, au bord de la folie...le spectateur, rivé sur Bartel, a compris que désormais, Bartel ne sera plus le même
V- L'ange et le Diable
Dépassé, Stevens apparaît plus comme un martyr que comme un homme. Bartel, quant-à-lui, augmente l'intensité de sa folie et rend le spectacle plus facinant et plus cruel, chacun échappe à l'autre. Mais Bartel a la violence pour lui: la scène de folie rend compte de cette animosité qui échappe à Bartel et l'entraîne dans une folie...amoureuse. S'il casse le camion de Steven, c'est pour ne pas le laisser échapper, comme il a laissé échappé Gloria. Le "transfert" freudien ainsi effectué; le calvaire peut alors commencer...
SUITE BIENTOT...